Article du Monde.
Comment la microfinance peut-elle prétendre servir le progrès économique et social, alors que ses taux d'intérêt sont souvent compris, dans les pays en développement, entre 30 % et 70 % par an ?
Si depuis le prix Nobel accordé en octobre 2006 à Muhammad Yunus, le "banquier des pauvres", on a beaucoup parlé du microcrédit, cette question n'a guère été évoquée. Pourtant le niveau des taux mérite d'être expliqué, afin de comprendre à quelles conditions il pourrait baisser.
De fait, malgré des taux d'intérêt élevés la demande de microcrédit est massive, avec plus de cent millions de clients dans le monde. Dans les pays en développement, plus de 80 % de la population n'a pas accès aux banques. Pourtant, emprunter est souvent une nécessité : pour faire face à un imprévu, gérer son budget, profiter d'une opportunité économique... En comparaison des taux des usuriers (200 à 1 000 % par an), les taux des institutions de microfinance (IMF) sont attractifs. Bien utilisés par des micro-entrepreneurs aux activités souvent rentables (commerce de proximité, services, artisanat), ils permettent de dégager un bénéfice supérieur aux intérêts payés. Un taux de 30 % par an pour un prêt de 500 euros sur six mois, ce n'est jamais que 1,50 euro d'intérêt par semaine. Pour un petit commerçant ce n'est pas cher payé si le prêt lui ouvre une opportunité. Son souci premier n'est pas le taux, mais la rapidité d'accès au crédit.
DES TAUX NÉCESSAIRES POUR COUVRIR LES CHARGES
Du côté de l'offre, les taux élevés des IMF sont nécessaires pour couvrir leurs charges : d'une part le coût du capital prêté, car elles l'empruntent elles-mêmes, en partie, à des taux qui varient de 8 % à 20 % ; d'autre part, leurs coûts de fonctionnement qui représentent généralement de 20 % à 50 % des sommes prêtées. L'octroi de crédits génère, en effet, des charges fixes (rencontrer le client, suivre le remboursement...) et plus les crédits sont petits, plus ces coûts sont proportionnellement élevés. Les IMF les ont réduits à leur niveau actuel en adoptant des méthodes novatrices (prêts à des groupes d'emprunteurs solidaires, proximité avec les clients...) qui assurent en outre d'excellents taux de remboursement - souvent supérieurs à 95 %. En grandissant, les IMF réalisent de surcroît des économies d'échelle : les clients fidèles accédant à des prêts plus importants, le volume des crédits, et donc les revenus d'intérêts, croissent plus vite que les charges. Ainsi, même si la grande majorité des IMF sont aujourd'hui déficitaires, certaines dégagent déjà des bénéfices.
Vont-elles pour autant baisser leurs taux (en réponse à leur finalité sociale) ou les maintenir (dans un objectif de rentabilité) ? Face à cette dualité d'objectifs, chaque IMF doit trouver son propre équilibre. On observe généralement que même les IMF les plus sociales, qui ne visent que la rentabilité nécessaire à leur pérennité, ne baissent pas leurs taux. Elles profitent des gains de productivité pour mieux servir leur mission - par exemple, toucher des clients plus pauvres. En réalité, le véritable moteur de la baisse des taux, c'est la concurrence entre IMF. En Bolivie, ces taux ont été ainsi divisés par trois entre 1992 et 2003. Au Mexique, où la concurrence a été plus tardive, ils restent très élevés.
L'ACTION DES POUVOIRS PUBLICS
Dès lors, comment les pouvoirs publics peuvent-ils influer sur la baisse des taux ? Trois mesures s'avèrent contreproductives. La première est d'accuser les IMF de prospérer aux dépens de leurs clients - argument démagogique, parfois utilisé par des politiciens, comme au Bénin lors de la récente campagne présidentielle. La deuxième est de plafonner les taux par la loi ; pour maintenir leurs revenus, les IMF doivent alors octroyer des prêts plus coûteux, donc à des personnes moins pauvres. Le troisième, pour un acteur public en quête de popularité, est de distribuer lui-même des microcrédits. Ils sont alors perçus comme des cadeaux, mal remboursés, et l'activité tombe rapidement en faillite, décourageant au passage les acteurs privés. En Afrique de l'Ouest, la nouvelle Banque régionale de solidarité risque de connaître ce triste sort.
En revanche il existe au moins deux façons de favoriser la baisse des taux : imposer aux IMF une plus grande transparence, car la diversité des méthodes de calcul des intérêts et des commissions rend difficile la comparaison des offres par les clients ; subventionner la création d'IMF là où la concurrence est encore faible. En effet, elle tend à se concentrer sur le segment étroit des petits entrepreneurs urbains déjà installés. Les publics plus difficiles à servir sont délaissés, en zone rurale en particulier.
Enfin, du fait de son taux élevé et de sa faible durée (six mois en moyenne), le microcrédit, dans sa forme la plus courante, n'est pas adapté pour des dépenses "non productives" - habitat, dépenses de santé, scolarité. De plus en plus d'IMF proposent de nouveaux produits - épargne flexible, crédits plus longs, micro-assurance - mieux adaptés à ces dépenses. Même si ces besoins d'ordre social appellent des réponses bien plus larges, le développement de ces produits peut jouer un rôle essentiel et doit être encouragé, notamment par des fonds publics.
Sébastien Boyé et Jérémy Hajdenberg sont auteurs avec Christine Poursat du "Guide de la microfinance" (Editions d'Organisation, 2006)
1 comment:
On pense souvent à tort que le microcrédit est motivé par une intention altruiste.
Le microcrédit est géré comme n'importe quelle activité de crédit "classique", c'est à dire en considérant le risque et en le rémunérant à sa juste valeur.
De ce fait on ne peut pas avoir un microcrédit avec des taux abordables (<10%) ou alors que les prêt soient effectué par des non-profit organization.
Il y a une anecdote connue qui illustre bien que le microcrédit n'est pas forcément un bien fait pour les pays du sud, c'est un emprunteur à la Grameen qui s'est vu conseillé par un employé de la Grameen de vendre un de ses enfants pour rembourser son crédit.
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